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Bernard Monneret nous a quittés

Bernard Monneret s’est endormi mardi 25 juillet à 15 h .

Mars était encore bien visible, haut dans le ciel, dans la constellation du Lion après le coucher du soleil. Vénus, longtemps étoile du soir, descend et redeviendra en septembre étoile du matin.
Bernard est quelqu’un qui a laissé une marque notable sur les personnes qu’il a côtoyées et surtout sur celles dont il a été l’enseignant. J’ai été son élève.

C’était un professeur hors-pair, pas tant par la qualité de sa pédagogie (il en changeait sans cesse), ni par la justesse de ce qu’il montrait (il était plus sensible à l’esprit qu’à la forme), mais par la relation qu’il savait établir avec ses élèves et par l’ambiance de travail qu’il savait créer avec art. Il innovait en permanence ne se limitant jamais à un canevas défini, laissait beaucoup de liberté dans la progression et le travail de ses élèves, chacun découvrant à son rythme. Mais il se montrait très attentif au groupe, à l’ambiance de travail, exigeait une disponibilité de chacun, savait séparer les binômes lorsqu’ils s’enfermaient dans le répétitif, savait, à l’inverse, mettre en valeur le travail de l’un au l’autre lorsqu’il pouvait servir d’exemple à tous ou de stimulant à l’intéressé, et veillait toujours à garder dans son cours un bon rythme de travail et une certaine unité. Le salut du début et le petit mot de la fin (souvent sur l’esprit du Budo ou l’une ou l’autre qualité développée dans le cours) étaient des moments importants. En tant qu’élèves, nous ne nous sentions pas du tout bridés, ayant l’impression d’inventer nous-même la discipline au fur et à mesure de nos découvertes, échafaudant des explications, des modèles, des façons de faire ; sans même nous rendre compte que chacune de nos dérives était ensuite recanalisée dans la bonne direction par les cours suivants. Attentif à ses ouailles, le professeur, mais très ouvert à la nouveauté, très inventif. Je me souviens d’un cours où, sans aucune préparation (dans mon souvenir, du moins), Bernard nous réunit en cercle dans une petite salle de travail sur plancher, juste à côté, éteint la lumière et muni d’un shinaï se met à tournoyer lentement au centre abaissant régulièrement son « sabre » pour piquer droit devant sur l’un des participants. Nous devions esquiver l’attaque en pivotant. Rien d’agressif dans cet exercice, c’était un travail de la sensation … de fait corps et esprit s’unissent assez vite dans ces conditions.

Du fait de son parcours original, Bernard enseignait dans les trois disciplines : le Judo, le Karaté et l’Aïkido. A la base, Bernard était judoka. C’était un pratiquant et un compétiteur, c’est dans sa nature. Mais en raison de son « petit » gabarit, à une époque où n’existait pas encore les catégories de poids, il a très vite privilégié la stratégie à la technique et savait surprendre ses adversaires par une entrée en matière explosive. Il a toujours pratiqué ce que j’appelle un « judo debout » (sans cassé du corps) qui joue sur le timing, la disponibilité et la vivacité des entrées (immédiate ou à contretemps, mais avec le corps entier). Un judo que l’on aime voir pratiquer. Il est même arrivé au niveau européen mais ne s’en est jamais vanté : c’est l’épreuve qu’il cherchait, pas la récompense. Comme il était plus sensible à l’esprit du Budo qu’à la perfection technique, il s’est intéressé, dès l’arrivée d’une nouvelle discipline en France, au Karaté et à ses fameux « atémis ». Une expérience de pionnier, très physique (dans le domaine martial très physique veut surtout dire avec un mental très fort). Ce n’est que tardivement qu’il a découvert maître Murakami et le style Shotokaï, plus coulé et plus ample, qui lui correspondait beaucoup mieux et qu’il a exclusivement privilégié. L’Aïkido, il l’a connu très tôt, dès l’arrivée en France de Tadashi Abe mais ne s’y est consacré de façon prioritaire qu’après sa rencontre avec Masamichi Noro dont il est devenu l’hôte régulier et le pratiquant fidèle. C’est avec beaucoup de surprise et un brin d’admiration que nous avons découvert sur des vidéos ses anciennes performances en tant que Uke, l’enchainement incessant de ses attaques qui repartaient immanquablement – après un savant et mystérieux contact – en longues chutes ou en projections dans les quatre directions du tapis (inépuisable, le Monneret !). Très volontaire mais éclairé dans ses choix sur le plan martial, Bernard a toujours privilégié en matière d’Aïkido une attitude d’ouverture par rapport aux différentes écoles de pratique et de pensée. Ouverture pour lui mais aussi pour ses élèves qu’il invitait à participer à des stages extérieurs sans œillère à priori. De fait il nous apprenait à grandir comme lui-même l’avait fait en trouvant l’enseignement qui convenait à notre progression et à développer notre autonomie de jugement. C’était un pragmatique respectueux des choix de chacun, pas un idéologue. Cette qualité était rendue possible par son constant souci de préserver l’esprit d’accueil, d’entraide et de travail dans le microcosme du dojo. Il ne laissait rien passer, se savait responsable de tout mais le faisait en silence, discrètement, sans heurt. Je me rappelle encore ses arrivées au dojo le soir juste après le travail. Le cours avait déjà débuté, il laissait à un ancien la responsabilité de l’échauffement, des éducatifs et parfois du début de cours (thème, orientation de travail). Il entrait sans bruit, écoutait, prenait le pouls de l’ambiance, de la qualité d’attention et de travail, se changeait en silence … et reprenait le cours dans l’exacte continuité de ce qui avait était amorcé. Pour l’orienter ensuite à sa manière ; du grand art. Nous avons ainsi grandi en faisant évoluer notre pratique aux sources de Tamura Sensei, Noro Sensei, Christian Tissier Senseï, Franck Noël Senseï et vécu sereinement la « révélation » du travail proposé par Seigo Yamagushi « l’extra-terrestre ». Je me rappelle encore la sortie alarmée de Xavier Yvrard avec ses lunettes rondes et ses cheveux à la Beatles (à l’époque) qui revenait de Bourgogne : « Eh ! les gars, il faut tout recommencer, on a tout faux ..! » (il avait eu le grand honneur de découvrir un premier échantillon de la pratique du maître dans la cave d’un ami à Macon – sic). C’est la bonne ambiance du dojo, faite à la fois de chaleur et d’exigence mais aussi d’un sentiment inexplicable d’unité, qui est à l’origine de l’assiduité de ses pratiquants.

Et des liens amicaux entre anciens de disciplines différentes. À l’époque le dojo était encore situé à l’étage dans un immeuble de la Croix Rousse et, le procès avec l’entreprise voisine du dessous aidant (une boite de dessin industriel – sic), il a bien fallu envisager une solution de repli. C’est grâce à une solide équipe d’anciens dans les trois disciplines, une tête de pont suffisamment soudée, que le choix de Bernard à pu se porter sur une nouvelle salle à aménager … de l’autre côté du tunnel. Un fameux pari finalement gagné après des mois de travaux, les équipes bénévoles venant se relayer sans gros moyens et dans des conditions peu orthodoxes (avec une bande d’ouvriers néophytes et des conditions d’hygiène médiocres), mais avec un enthousiasme communicatif qui s’est maintenu tout le temps des travaux. Et sous la férule bonhomme d’un vrai chef de chantier professionnel, pratiquant d’Aïkido, André Moreteau (décès prématuré), qui a donné son nom à la nouvelle salle. Ce qui aurait dû affaiblir le club, voire le condamner – interruption d’activité et nouveau site plus excentré – l’a au contraire renforcé, ce qui s’est traduit par un rayonnement accru et par l’introduction de nouvelles disciplines (Kendo, Iaido, Kyudo) et bien sûr … par de nouveaux problèmes de voisinage ! Bernard est ensuite devenu une figure locale, tant par son passé sportif que par sa participation bénévole avec ses élèves à un grand nombre de manifestations locales et par la notoriété de son club, le CLAM. Mais jamais la chose ne lui a monté à la tête. Il a su garder toute sa simplicité lyonnaise.

Je pourrais encore évoquer sa participation régulière aux stages, en tant que pratiquant, jusqu’à un âge respectable (outre ceux qu’il organisait). Je me souviens du jugement lapidaire de Franck Noël, « Monneret sur un tapis, c’est le seul « vieux » que je connaisse qui travaille tout le cours et qui ferme sa gueule … chapeau ! ». Évoquer aussi sa surprise de retrouver des années plus tard d’anciens élèves perdus de vue et dont il percevait après coup que son enseignement avait profondément marqué le caractère (comme tout enseignant d’arts martiaux à ses débuts il s’était frotté à pas mal de fortes têtes). Il en avait du reste retenu la leçon : « Comme enseignant, il est essentiel de garder confiance, de ne jamais se décourager. L’ascendant ou l’action sur tel ou tel qu’il soit doué ou au contraire en difficultés importe finalement très peu. C’est l’engagement dans un travail régulier et l’esprit qu’on a su préserver dans le groupe qui font l’essentiel. Le but n’est pas le résultat mais le chemin qui y mène. Et personne, même pas l’enseignant, ne peut pas faire ce travail à la place de l’autre ». Enseignant, il l’est finalement resté jusqu’au bout, à sa manière inimitable. Tout en laissant la main à d’autres pour l’ensemble des sections, l’organisation du club et les relations avec la ligue.

Il s’est retiré à sa manière, sans vague, sans bruit, de façon progressive, en douceur. Mais jusqu’au bout l’ambiance de ses cours est restée perceptible même en dehors du tapis. Et encore dans la pièce à côté…

Adieu Bernard.

Pierre Matthieu, le 29 juillet 2023